Introduction
Pour créer cette carte mentale je suis parti du dessin. Celui-ci est fondamental pour moi, je le pratique depuis mon enfance et il m’a dirigé vers ces études artistiques. J’ai défini trois pôles autour de trois mots clés (Mythologie, Machine et Ambiance) qui cohabitent ensemble dans ma pratique.
J’ai organisé le premier pôle autour de la mythologie. Comment je m’inspire des légendes et des mythes d’autrefois qui ont construit notre façon de penser et comment on se les réapproprie et les adapte. J’aime ces contrées fantastiques, ces grands paysages naturels et les nombreux personnages qui les peuplent. Je peux relier ce thème à celui de la machine en passant par le prisme de l’évolution (changements d’époques accompagnés par des progrès scientifiques, des constats écologiques) ainsi que par celui de l’Homme et du corps.
Je parle de la machine sous deux aspects différents. D’un côté des machines dans le sens des technologies qui arrivent, envahissent notre monde de plus en plus vite et qui transforment notre mode de vie et notre manière d’être. De l’autre, des machines comme machineries, rouages et automates.
Je définis le pôle ambiance d’une manière plus technique, sur ma façon de travailler. Il est donc relié aux deux autres qui sont plutôt mes sources d’inspiration et de production. J’essaie de faire ressortir des atmosphères, souvent en noir et blanc, mais en essayant de varier les techniques. Récemment pour l’édition du premier semestre, j’ai utilisé du fusain pour retranscrire un monde poussiéreux, en ruine, vide. Mais j’utilise aussi souvent du crayon ou de l’encre pour créer les contrastes.
J’essaie aussi de travailler le mouvement, notamment par l’animation. Mais aussi de le retranscrire dans une image fixe.
Pendant ce projet j’ai pu mettre des mots sur mes processus de création, notamment sur le fait que régulièrement c’est l’usure qui me permet une libération de mon trait qui devient plus expressif. Je pense que j’ai aussi besoin de renouveler et diversifier régulièrement mes projets pour continuer à prendre autant de plaisir qu’au commencement.
J'ai choisi de présenter les quatorze texte de ce corpus en reprenant le concept de lecture de paysage car il me semble que c'est une des notion essentielles qui traverse mon travail.
Mythologie
Une grande partie de mes inspirations provient de la mythologie et des mondes fantastiques (contes, légendes) qui en ont, je pense, découlés. Notamment les mythologies grecques, romaines et biblique que je connais le mieux, mais aussi égyptienne et nordique. J’ai maintenant envie d’en redonner ma propre vision comme par exemple les œuvres de Cleon Peterson qui m’évoquent les batailles des temps anciens. J’ai repris dernièrement dans une petite bande dessinée et dans des gravures des passages de combats entre créatures et héros de la mythologie grecque. La bande dessinée, à but humoristique montre les « trophées de chasse » des différents héros dans un musée tandis que dans les gravures j’ai voulu donner un aspect plus dramatique ou le héros est seul et minuscule face à son ennemi. Avec le projet Revu je me suis beaucoup penché sur la Bible et (re)découvert des interprétations sur des passages que je connais depuis très longtemps grâce à mon éducation chrétienne. Au niveau du conte je travaille en ce moment sur une adaptation en animation du Chat Botté. Je m’intéresse également aux époques qui ont vu se créer les mythologies. En effet, ces histoires de dieux, de héros et de créatures fantastiques prennent vie dans des paysages médiévaux ou antiques. Ceux-ci m’ont toujours attirés pour la monumentalité des décors, la vie quotidienne, les étendues encore inexplorées et la place de l’horizon. Je me retrouve très souvent avec des cadrages allongés, panoramiques qui je pense reprennent l’idée de la fresque ou des rouleaux anciens. Il y a aussi les personnages qui habitent ce paysage. Les gens du commun et les héros, qu’ils soient historiques ou totalement inventés. La figure dans l’histoire et son évolution m’intéressent particulièrement. Par exemple la structure du monomythe décrite par Joseph Campbell dans Le héros aux mille et un visages en 1949.
Manière de travailler
Je pense que j’avais deux styles de dessins différents qui depuis ces deux dernières années se sont rejoint. Le premier est celui que j’ai développé en premier et qui m’a longtemps tenu à cœur, c’est de produire des dessins très précis, le plus réaliste possible avec un résultat très propre et ne laissant aucune part à l’accident. L’autre était plutôt ce que je définirai comme les « gribouillages dans les marges de cahiers », où j’étais beaucoup plus rapide, que je ne trouvais pas digne d’intérêt. Mais dans laquelle, je m’en rends compte maintenant, il y a beaucoup plus de nuances, de traits, de vibrations. J’ai encore du mal à délier mon trait, à être expressif dans mes travaux lorsque je sais qu’ils seront regardés et jugés, j’ai toujours envie d’être minutieux mais en même temps de m’amuser et d’être efficace. J’arrive de plus en plus à me lâcher. Je me suis rendu compte que c’est avec l’usure, au bout d’un bon moment passé sur un projet, que j’ai parfois envie d’abréger, de prendre des raccourcis pour arriver au final et c’est dans ces moments que je découvre de nouvelles approches, qu’arrivent des accidents. J’aime aussi observer le travail des autres dans la classe, c’est toujours une source d’inspiration. C’est comme ça que j’ai commencé à utiliser des trames, des matières qui renforcent le ton de mes travaux et que je me réapproprie dans ces moments d’accélération du mouvement. En inspiration je pourrais citer Manu Larcenet, qui utilise de nombreux styles de dessins et les mêles, notamment dans sa série Blast (Encre, lavis, plume dessins d’enfants aux crayons de couleurs et feutres). Dans l’idée de l’épuisement d’une forme ou d’un espace, Marc Couturier avec ses Dessins du troisième jour ou George Perec avec sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien qui m’a appris à m’arrêter dans un lieu et à l’observer. Cela m’a beaucoup servi pour m’améliorer dans mes croquis d’observation.
Machine
Au niveau de la machine j’aime beaucoup tout ce qui touche aux machines impossibles, aux mécanismes, aux rouages, chaudière et moteur, cheminées et fumées, plus ou moins réalistes qui permettent d’effectuer toutes sortes d’actions, parfois peu utiles (les inventions de Gaston Lagaffe par Franquin par exemple). Cette attirance pour la machine me vient de mes lectures de Jules Verne et de la vision que j’ai de l’ère industrielle et de la machine à vapeur. Une nouvelle force qui a révolutionné le monde. L’électricité a remplacé la vapeur mais boulon et piston continuent de structurer des mécanismes tels que les Machines de l’Ile à Nantes. Je pense que c’est une certaine nostalgie face à un monde de plus en plus numérique et ou les technologies s’introduisent dans les plus infimes détails de la vie et évoluent de plus en plus vite. Mais je m’intéresse aussi à cette nouvelle vision de l’Homme. Un Homme augmenté aidé par des interfaces et des machines qui l’entourent ou sont greffées à son corps. Il se modifie et la mécanique se mêle à l’organique comme dans les œuvres de Hans Ruedi Giger. Il est augmenté mais jusqu’à quel point peut-on aller sans dépasser des limites éthiques et universelles qui ont jusqu’ici limitées et rythmées la vie. Ce sont des questions posées dans la série Black Mirror. Et jusqu’où ira la destruction de notre monde pour alimenter cette recherche et cette production d’Homme censé être parfait et supérieur à tout autre qui ait vécu avant lui.
Collaboration
Avant de commencer à travailler, je pré-visualise très souvent une image que j’ai envie de faire et j’ai l’impression que c’est comme ça qu’elle devra être au final. Cela me bloque car j’ai beaucoup de mal à m’éloigner ensuite de cette image, je fais rarement de croquis préparatoires et je me lance régulièrement directement sur mon format avec une esquisse. Travailler en collaboration avec une autre personne m’oblige à poser des bases, à en discuter, les retravailler pour trouver une meilleure composition. Le dialogue me permet aussi de trouver de nouvelles idées, tout en développant celles de bases, en y apportant de nouveaux angles de vue. Je trouve aussi intéressant de mêler nos styles et nos compétences. Les derniers projets où j’ai travaillé en groupe sont des petits films d’animation, la sérigraphie et le spectacle pour la Souris Verte.
Technique
Gravure, sérigraphie, risographie, papier découpé, reliure, céramique, laine. Toutes ces pratiques que je découvre depuis ces dernières années m’intéressent. En plus d’ouvrir le champ des possibles au niveau technique elles me permettent d’aborder l’image ou l’objet d’une manière différente. Ce sont de nouvelles manières de montrer quelque chose ou de raconter une histoire tout en offrant de nouvelles façons de travailler et de ressentir la matière. A chaque fois, il faut respecter un processus pour arriver au résultat voulu. En gravure, il faut préparer la plaque, la graver, toucher du doigt, apprendre à sentir pour contrôler l’évolution du travail, plonger les doigts dans l’encre et étaler, se laver les mains dix fois par jours, imprimer. Mon stage dans un atelier de gravure à Paris m’a permis de découvrir et d’ajouter encore de nouvelles techniques à celles découvertes à l’école. Pour la sérigraphie et la risographie, il faut penser l’image en couche de couleur, ce dont je n’ai pas l’habitude et qui m’oblige à travailler différemment. Ce sont trois techniques qui donnent des rendus d’impressions différents mais qui ont une vraie qualité et que je prends plaisir à toucher. La gravure gaufre le papier, la sérigraphie laisse des aplats à la fois lisse et rugueux tout comme les trames de la risographie mais qui sont complètement mattes. C’est cet aspect que j’ai utilisé dans mon édition A double tranchant pour reproduire mécaniquement la texture originelle du fusain. De plus ces pratiques permettent de faire plusieurs tirages et donc de garder un original tout en vendant ses créations. En effet, j’ai plutôt du mal à me séparer de mes travaux, j’aime garder une trace de toutes mes productions. Le papier découpé me permet de créer des dioramas, de créer des espaces en volume, de sortir de la feuille. Dernièrement, j’ai surtout utilisé cette technique pour une vidéo (L’Homme et le Renard, mapping) et des animations (workshop avec Hefang Wei et adaptation du Chat Botté de Charles Perrault). J’aime l’aspect « tranché » des formes qui se découpent du fond comme dans les films en ombres chinoise de Michel Ocelot (Princes et Princesses, Les contes de la nuit) En décomposant les membres des personnages en plusieurs morceaux qui ne subiront pas de déformations, cela permet de garder une cohérence morphologique en évitant une transformation involontaire de celui-ci. La reliure me permet de confectionner mes propres carnets et d’éviter d’en acheter. Mais surtout c’est un moment où je peux me plonger dans une répétition des gestes où je n’ai pas besoin de réfléchir, c’est une activité qui me repose tout en me permettant d’imaginer ce qu’il adviendra de ces bouts de papiers que je suis en train d’assembler, en fonction de leur format, de leur épaisseur. La céramique me fait un peu retomber en enfance. Lors de mes dernières années de primaire, j’allais à un cours de céramique tous les vendredi soirs après l’école. J’ai pris beaucoup de plaisir, cette semaine, à replonger mes mains dans la terre et à retrouver des sensations perdues pour modeler une petite paire de bottes qui servira d’accessoire pour mon adaptation du Chat Botté. Enfin, la laine que j’ai utilisé pour la première fois afin de créer mes masques pour la soirée Maskarade. Pareillement que pour d’autres techniques c’est la répétition, coller ou nouer les poils un à un, voir le travail avancer tout doucement, me demander si je vais avoir la motivation pour aller jusqu’au bout et une fois l’objet finit, la satisfaction et l’aspect fragile de l’ensemble qui m’ont fait plaisir et donner l’envie de continuer à travailler cette matière.
Carnet
Je dessine énormément dans mes carnets mais j’ai du mal à les considérer comme des carnet de recherches. En effet, même s’il m’arrive de faire des esquisses, de réutiliser des idées, ou des compositions je n’aime pas, n’arrive pas à faire de nombreux croquis avant de créer mes images. J’utilise mes carnets comme des recueils de dessins finis, plus ou moins élaborés et travaillés, dont je suis plus ou moins content. J’essaie de séparer mes dessins d’imagination de ceux d’observation. Ces derniers sont principalement des séries de portraits sur le vif fait pendant mes trajets en train ou en métro agrémenté de croquis d’espaces ou de bâtiments.
Ruine
Les ruines sont les restes des constructions humaines. Ces vestiges sont dus soit au passage inébranlable du temps et des éléments naturels, soit de la destruction de la part des hommes. Elles représentent les civilisations qui les ont construites et peuvent nous indiquer leurs modes de vie grâce aux recherches archéologiques. Ce sont les traces de l’histoire. Ce qui m’intéresse dans ces vestiges c’est la grandeur passée de ces pierres usées qui émergent au milieu d’un paysage. C’est une vision que recherche aussi Josef Koudelka dans sa série de photographie Vestiges : « Ces sites dégagent une puissance considérable, et aussi une harmonie à laquelle il est difficile de résister. Quel sens de la géométrie, de la ligne avaient ces Grecs et ces Romains ! » Les amas rongés par l’humidité, le vent, recouverts de plantes grimpantes, symbolisent pour moi la puissance de la nature qui reprend le dessus sur les constructions humaines dès qu’elles sont laissées à l’abandon. Le retour à un état plus primitif. Les hommes abandonnent leurs créations lorsqu’ils n’en n’ont plus l’utilité (ils ont exploité tout ce qu’ils pouvaient du lieu, ils ont changé de croyances) ou qu’ils en sont dépossédés (ils sont chassés, ils n’ont plus les moyens matériels et financiers pour les entretenir). Ils peuvent les détruire pour les même raisons, pour effacer leur existence ou pour s’en emparer. Dans ce dernier cas, les constructions peuvent être l’objectif principal ou des dommages collatéraux. Je pense aux ruines antiques et médiévales (arènes, abbayes…) qui se dressent au milieu des villes en opposition par exemple aux ruines provoquées par les guerres mondiales qui ont été reconstruites et dont les destructions ne sont visibles que grâce aux photos d’époques. Les ruines (ainsi que les édifices anciens) sont pour moi des lieux de plusieurs temporalités : Le temps présent où se déroule l’action, où l’on déambule dans les lieux, mais aussi le temps de tous les évènements qui ont eu lieu entre ces murs (construction, utilisations, destruction) et qui sont ou non parvenus jusqu’à nous. Ainsi, lorsqu’on visite un monument on apprend les évènements de l’Histoire qui ont eu le mérite d’être transmis jusqu’à nous, mais on peut alors lancer notre imagination pour imaginer le passage d’illustres inconnus, ou transposer le lieu dans une autre fonction, un autre univers ou encore s’en inspirer pour des productions à venir. Pour mes productions je réutilise souvent des croquis ou des photos prises auparavant pour recréer des bâtiments ou pour en imaginer de nouveaux en réutilisant certaines parties. J’aime particulièrement m’inspirer de l’architecture gothique présente dans nos villes ou dans des films fantastiques (Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson). Dernièrement avec mon édition A Double Tranchant j’ai réutilisé des images de décharges, de casses et de maisons abandonnées pour créer le monde apocalyptique dans lequel se passe l’histoire.
Futur
Lorsqu’il s’agit d’imaginer à quoi pourraient ressembler des mondes futurs, je pense que je suis assez pessimiste. Au vu de ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui, j’ai du mal à croire en un monde en bon état. Pollutions, dérèglements climatiques, destruction, surveillance, automatisation, etc. Les nouvelles technologies peuvent permettre d’améliorer le niveau de vie de tout un chacun mais aussi dériver vers une dépendance complète. Nous sommes déjà arrivés à un stade impressionnant dans l’utilisation intensive de la machine et de l’informatique. Il suffit de regarder 100 ans en arrière pour constater l’omniprésence des technologies et les changements dans notre mode de vie, et avec les progrès toujours plus rapides nous pouvons nous demander ou cela va nous mener. J’ai essayé de proposer des scénarios possibles dans une série de gravures sur rhénalon. Ce sont des thèmes déjà évoqués dans des œuvres de science-fiction et qui peuvent faire clichés, mais qui me semblent tout à fait possible et qui font partie de mon imaginaire: combat de robots (Real Steel de Shawn Levy, Ai-Intelligence artificielle de Steven Spielberg), lutte pour les dernières ressources naturelles (Mad Max de George Miller)… Pour mon édition A Double Tranchant j’ai imaginé un personnage qui se retrouve dans un monde déserté de tout humain et en ruine et essaie de s’en sortir. Après l’avoir écrit je me suis rendu compte qu’il y avait des similitudes avec La Route de Cormac McCarthy. Dans cette œuvre non plus on ne sait pas ce qui s’est passé pour que le monde que nous connaissions arrive dans cet état de délabrement. J’aime aussi dessiner des vaisseaux ou engins moins réalistes au niveau technologiques inspirés d’œuvres comme Star Wars ou Blade Runner.
Raconter
Depuis toujours j’aime qu’on me raconte des histoires. Que ce soit lire un roman fanstique, regarder un film de science-fiction ou qu’un copain me raconte sa dernière soirée. Et je dessine pour raconter mes propres histoires. Implicitement chaque dessin ou image raconte une ou plusieurs histoires. Et chacun de mes dessins fait partie de moi. Je me rappelle encore de dessins que j’ai faits au primaire et de l’état d’esprit dans lesquels je les avais faits. C’est pour cela que j’ai du mal à me séparer de mes travaux, j’ai peur de ne plus pouvoir les voir ou d’en avoir besoin et de ne plus pouvoir les montrer. Bref, depuis tout petit je dessine et on m’a soutenu et encouragé pour cela. Je sais que j’en suis capable et que je peux arriver à produire quelque chose. Mais quand je dois écrire je me retrouve bloqué. Pour finir, je produis toujours quelque chose parce qu’il le faut bien, mais souvent je suis moins satisfait de ce que j’ai pu faire. Même quand j’ai des retours positifs je cherche toujours des points négatifs. J’imagine que c’est parce que je n’ai pas encore eu assez d’occasions de pratiquer et que je manque encore de confiance en moi pour cet exercice. Si je devais décrire mon style ce serai : assez bourru, très entrecoupé avec beaucoup d’accumulation et de description. Quand on me demande de parler de moi c’est encore pire. J’ai toujours dessiné des choses extérieures à moi, mais depuis trois ans on me demande mes références, mes inspirations, mon message. Je n’aime pas du tout ça, quand je crée, c’est pour m’amuser, et pas pour avoir à expliquer. Enfin bon… Au final, ça fait un moment que je raconte ma vie et ce n’est pas si terrible. Je peux encore continuer un petit moment.
Lumière
La lumière est ce qui nous permet de voir, de regarder le monde. C’est elle qui crée l’espace qui nous entoure en créant les ombres. C’est la base de la vision et j’essaie de la faire passer à la base d’une partie de mon dessin. En effet j’aimerais transformer la ligne en relief. En créant de la lumière en affinant les traits, et en opposition, des ombres, en épaississant les traits en les répétant, les chevauchant, etc, pour s’approcher de la masse et s’éloigner du simple contour. C’est la lumière qui permet de créer des ambiances. Si elle est puissante, les ombres sont prononcées, les contrastes sont forts et l’image peut prendre une teinte dramatique. Dans beaucoup de mes dessins, le noir complet et le blanc cohabitent pour créer du contraste et de la force comme Hugo Pratt ou Tardi. En absence de lumière naturelle, la nuit, toute source lumineuse, même toute petite, donne beaucoup d’éclat et offre une nouvelle vision du monde « Durant la nuit nous avons un tout autre rapport à l’espace que dans le jour » Proust. Dans ma série de photo nommée Ruine j’ai travaillé à partir de morceaux de papier déchirés et chiffonné pour construire des scènes de décharge et de ville en ruine. L’ajout de lumière colorées, comparées à une lumière blanche, à tout de suite apporté une ambiance totalement différente sur le fond noir du studio. Mes premières prises de vue qui donnaient un rendu plat et sans vie du à une lumière trop présente se sont métamorphosées dès que j’ai baissé l’intensité et ajouté des filtres colorés, donnant des ambiances pouvant se rapprocher des peintures de Félix Valloton sur la Première Guerre Mondiale. J’ai aussi utilisé la technique du théâtre d’ombre, pour une vidéo à partir de silhouettes découpées dans du papier noir collé contre un écran et éclairées par un spot.
Paysage
Le paysage est pour moi une représentation essentielle de la nature et de sa transformation. Sans cesse renouvelable et modifiable la ligne d’horizon peut varier entre plaine et montagne, mer et désert, forêt et champ, ville actuelle, ville futuriste et ville moyenâgeuse. C’est un grand espace où l’homme semble tout petit, perdu dans un coin de la page. Ce n’est plus lui le personnage principal de l’image. Comme le personnage de Simon Roussin dans Prisonnier des glaces ou celui d’Alejandro González Iñárritu dans The Revenant. J’ai d’ailleurs réutilisé l’image ou on le voit marcher, minuscule sur un glacier au milieu de sommets de montagnes dans mon édition de Construire un feu de Jack London. Ce que j’aime, c’est l’immensité, la grandiosité de la nature qui s’exprime à travers les éléments, la mer, le vent, le ciel, en m’inspirant par exemple de Caspar David Friedrich et de Rubens. Et même quand c’est le personnage qui est l’élément principal, le paysage permet de poser l’ambiance, l’atmosphère et d’ancrer le personnage dans un lieu, une époque. Un paysage désertique, une forêt amazonienne ou les toits d’une ville nous plongerons dans trois univers complètement différents et peuvent introduire un décalage ou être en adéquation avec le style du protagoniste. Chaque paysage a ses propres caractéristiques, son climat, son évolution au fil du temps, ses métamorphose, l’impact humain. En se prêtant à cette observation on peut définir son histoire. C’est la lecture de paysage, une lecture que donne Maelis de Kerangal de l’ile de Lampedusa dans à ce stade de la nuit, où elle mêle souvenirs de cette île et drame entendu à la radio. Le paysage, c’est aussi un format allongé, qui défile devant nos yeux, sans jamais s’arrêter, comme lorsqu’on regarde à la fenêtre d’un train. Mais j’ai aussi envie d’expérimenter la représentation de paysage dans des formats verticaux assez étroits afin de changer de point de vue et de manière de regarder. En me rapprochant de la peinture de paysage traditionnelle chinoise qui utilise autant le format vertical que celui horizontal. Je travaille souvent à partir de mon imagination pour créer un paysage même s’ il m’arrive régulièrement d’avoir en tête des scènes de films ou d’aller sur internet et chercher dans mes photos pour trouver des détails ou des ambiances que je n’arrive pas à mettre en place. Si le paysage est aussi important pour moi c’est, je pense, parce que j’ai eu la chance de grandir à la campagne et de profiter de pouvoir sortir dehors et d’aller courir dans les bois dès que j’en avais envie. Même si je ne le revendique pas, je considère en regardant mes travaux, que j’essaie de faire passer un message écologique.
Ambiance
Je considère la notion d’ambiance importante dans mon travail car je trouve nécessaire d’essayer de plonger le spectateur dans un univers qui se montre cohérent. Pour cela il faut réussir à assembler plusieurs éléments et trouver un agencement entre eux en les dosant. Ces ambiances prennent souvent formes au travers de décors dans lesquels je place des personnages, mais ceux-ci ne sont pas forcément les personnages principaux et deviennent parfois anecdotiques ou disparaissent.
Dans mes travaux de ces deux dernières années j’ai beaucoup travaillé sur des ambiances créées à partir du noir et blanc en cherchant à créer des contrastes pour renforcer l’image. Cependant j’espère réussir à retourner à la couleur et pouvoir travailler les deux parallèlement. Beaucoup de mes dessins représentent des scènes de nuit car je trouve que c’est le moyen qui me convient le mieux pour faire ressortir des lumières et des ombres contrastées en clair-obscur. Procédé que j’admire beaucoup dans les peintures de Caravage, Rembrandt, ou dans les gravures de Gustave Doré par exemple. Cela grâce à des sources naturelles (lune, étoiles) ou artificielles (feu, lampe, phare). Pour ces travaux en noir et blanc j’utilise surtout l’encre, qui me permet d’avoir des noirs profonds en fort contraste avec le papier, le fusain et le crayon où je maîtrise mieux les nuances, la texture. Mais en essayant des techniques comme la gravure (sur rhénalon, linoléum, zinc) je me rends compte que ce sont aussi souvent les jeux de lumière que je travaille. J’ai par exemple fait une série de gravure reprenant des vues de réseaux ferroviaires de nuit éclairés par les éclairages publics. Sur ce projet j’ai ainsi pu travailler les différences de matières et de noirs entre ce qui est gravé et la manière d’encrer.
J’ai aussi travaillé l’ambiance au niveau sonore dans plusieurs projets d’animation pour accompagner l’image, depuis le workshop son de première année, qui m’avait permis de découvrir comment construire une ambiance en superposant différentes strates de son, et en modifiant leur volume afin qu’elles créent un environnement reconnaissable et dans lequel on peut s’immerger.
Je considère aussi comme travail d’ambiance les lieux et époques où je situe mes histoires. Je retombe souvent sur deux thèmes : Le premier plutôt situé dans le passé (Antiquité et Moyen Age) et/ou le fantastique. Le deuxième plutôt dans un futur plus ou moins lointain mais très souvent représentant un monde détruit ou en cours de destruction. Je construits ces univers en m’inspirant de photos prises lors de mes visites, trajets, voyages ou trouvées sur internet. Mais aussi de lectures, scientifiques et à but pédagogiques ou non, ainsi que de travaux d’artistes.
Homme
Je tiens à garder le plus possible la figure humaine dans mes travaux, même si elle est parfois reléguée à l’anecdotique. Je trouve intéressant de la confronter au monde qui l’entoure. Ainsi j’aime montrer le rapport de l’homme face à la nature, à la machine ou à l’autre. Pour la nature, j’essaie de montrer comment il peut être écrasé par la taille et la puissance de celle-ci, ou en être admiratif et respectueux. Plus rarement, je montre comment il la dompte ou s’en inspire. L’homme lui-même est souvent remplacé par ses créations. Ainsi, dans mes paysages, j’insère souvent soit un personnage soit une construction qui permet d’instaurer un rapport d’échelle et de les habiter. Je m’intéresse aussi au corps, comment il bouge, s’articule, se déforme. J’essaie encore de comprendre comment il fonctionne au niveau anatomique, pour arriver à le construire, le représenter de manière à ce qu’il tienne debout, en dessin mais aussi en animation pour rendre les mouvements. Mais aussi aux déformations et modifications qu’il peut subir que ce soit par accident, par maladie ou par choix. Nous en sommes encore à un stade où les prothèses sont utilisées pour remplacer des organes défaillants ou endommagés mais avec leur perfectionnement toujours grandissant on peut facilement imaginer que bientôt certain offriront leur corps pour implanter ces extensions. Neil Harbisson a ouvert la voie en étant le premier cyborg reconnu officiellement avec son Eyeborg qui lui permet de ressentir les couleurs, et aujourd’hui des entreprises testent l’implantation de puces dans le corps de leurs employés pour faciliter certaines actions.