Cependant, tout comme mes textes poétiques, il est important dans ce que je crée, de produire des travaux sans sens particulier, qui ne partent pas d’un fait ou qui ne nécessitent pas des accumulations d’informations. Des travaux qui n’ont ainsi de sens que leur esthétique, qui s’inscrivent dans mon processus de corps et d’esprit. Comme je l'ai déjà évoqué, l'approche du spectateur face à l'oeuvre d'art met en avant deux processus : l'appel aux sens, l'acte sensoriel, c'est à dire, voir, entendre, sentir éventuellement et le deuxième qui consiste à ajouter une attention délibérée face à l'oeuvre, une réflexion particulière, un concept complexe ou non. Dans mon travail d’écriture, que ce soit pour mon corpus ou pour mon édition de cette année, c’est, comme je l’ai dit précédemment, ce travail de recherches et de réflexion que j’aime mettre en avant. Au contraire, je choisis plutôt une approche davantage sensorielle pour mes dessins organiques au feutre fin ou mon travail détaillé de découpe papier. J’aime alors qu’il n’y ait aucun message ici mais juste une respiration, un instant donné où le cerveau s’arrête et le temps se fige. Angela Glajca, artiste plasticienne spécialiste du papier écrit par exemple pour son œuvre Murmure Visible : « Voici le lieu du calme. Loin de notre monde haut en couleur, criard et consumériste, avec son déluge permanent d'excitations et de distractions qui vous tiraillent l'attention et l'esprit, nous vivons ici clarté, beauté, harmonie. Captivées par la présence physique de la sculpture, nos pensées s'orientent sans que nous le remarquions vers la question centrale de l'existence humaine, celle du devenir et de la mort.» De plus en plus depuis le travail de Nouvelle Lune, je me dirige également vers la création d’installations artistiques, qui mettent en scène des Kaléidoscopes et des fractales. Je trouve que ces créations représentent encore davantage cette idée de voyage, de calme, de respiration. Doug Aitken, qui est un artiste vidéaste et plasticien, est l’une de mes principales références en la matière.Dans son installation Sonic Fountain, présente à la biénale de Lyon l’an passé, il allie technologie et poésie pour une œuvre que j’avais trouvée hypnotique. Excavation emplie d’une eau laiteuse, Sonic Fountain est surmontée par neuf robinets répartis en grille qui gouttent selon une partition précisément écrite. Dans l’eau, des microphones enregistrent le son des gouttes d’eau – un son diffusé en direct dans l’espace, comme pour un concert. En conclusion, dans mon travail plastique, j’aime transmettre une idée d’harmonie, de refuge face au monde réel. Je pourrai alors me demander pourquoi je ne propose pas ce type de voyage, de calme dans mes écrits non automatiques. Je pense tout d’abord que cela va avec les sujets qui me tiennent à cœur. En effet, quelque part, je suis un peu une artiste engagée. J’aime dénoncer certaines injustices comme l’homophobie, le sexisme, le racisme, la question des genres. Il est ainsi important pour moi que l’artiste contribue à faire changer les mentalités, à insister sur des faits, des histoires méconnus. Cependant, ces sujets qui m’habitent, je n’arrive pas forcément à les retranscrire en images.Je suis plus à l’aise avec les mots. À chaque fois que j’essaie de produire des images engagées, j’ai toujours peur de tomber dans le pathos, de produire une image trop forte ou pas assez, je ne trouve pas de juste milieu. Alors que quand j’écris, je ne me pose pas forcément ces questions-là, j’hésite beaucoup moins, je ne me censure pas. En conclusion, on peut trouver deux aspects dans tout mon travail. L’un fait d’images (photographies, travail plastique) calmes, propices au voyage, qui s’appuie sur des règles de compositions et d’harmonie, et l’autre, quand j’écris, beaucoup plus recherché, documenté.