L’idée de processus artistique est fortement présente dans mon travail et le mien implique à la fois le corps et l’esprit. Que ce soit dans mes créations en découpe papier ou dans mes grands formats réalisés aux feutres fins, j’aime passer des heures à découper ou à tracer mille traits semblables sur une feuille. Mon processus de création pour ces travaux est « automatique » (pour reprendre le terme du philosophe Daniel Kahnema), dans le sens où je privilégie des recherches graphiques au détriment d’un propos. Cette façon de travailler implique à la fois mon esprit, de par mon imagination, mes pensées qui cheminent et qui viennent se coucher sur le papier mais aussi mon corps, que je contrains alors physiquement de manière involontaire (les détails que je réalise fatiguent les yeux, le grand format impose au corps d’être debout ou carrément couché dans des positions qui entraînent souvent de la douleur au bout d’un temps) et volontaire (je m’oblige à ne pas respirer trop fort, j’anticipe chacun de mes mouvements et exécute des gestes minutieusement calculés, afin d’éviter par exemple, que ma main ne ripe sur les traces de stylo encore fraîches). L’artiste et performeuse Janine Antoni, mêle aussi d’ailleurs son corps au processus. Elle utilise des parties de celui-ci comme une entité, pour performer. Dans Loving Care, elle se sert de ses cheveux comme pinceaux et recouvre le sol tout entier de la galerie. Elle explore alors les limites de son corps et se plonge dans un état second. Quand je me concentre sur le détail dans mes productions, dans ces moments de concentration ultime où je n’ai pas le droit à l’erreur, j’entre moi aussi dans un état intense et profond où je suis de moins en moins consciente du moment présent. L’état nécessaire à la bonne réalisation est un état de lâcher-prise, entre le sommeil et le réveil (proche d’un état hypnotique). Cette écriture automatique, je la pratique également souvent, notamment, j’ai pu l’utiliser pour quelques textes de mon premier corpus. Cependant, à la différence de mes dessins ou de mon travail en découpe papier, où le résultat est en général d’ordre purement graphique, il m’est au contraire difficile de relire le texte, de le corriger, ensuite. Puisque c’est comme s’il se retrouvait être écrit par une entité tapie au fond de moi. Comme disait André Breton : « On constate un dédoublement du moi, une présence de deux séries d'idées parallèles et indépendantes, de deux centres d'actions, ou, si l'on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau ; chacune a une œuvre, et une œuvre différente, l'une sur la scène et l'autre dans la coulisse. ».

 

En conclusion, mon processus permet ainsi de me procurer du plaisir, et de combler ce désir de liberté que je suis incapable de réaliser au quotidien. Et en réalisant ce type de travail, c’est cela que je cherche, un voyage intérieur et un lâcher-prise.