Ce qui me plaît dans l’observation du vivant, ce sont toutes ces panels de formes, les ronces sur les chemins, les nervures sur l’écorce des arbres ; qui par un hasard de conception, se trouvent être extrêmement harmonieuses. Quand on regarde par exemple les ramifications d’une branche, toutes ces divisions d’une partie de l’arborescence, tout est complexe et tire même, si on zoom sur les matières, vers l’abstraction. Une fleur observée à l’œil nu est intéressante, certes, mais quand elles s’amassent en groupe, et s’entremêlent ensemble, elles forment une unité, un certain équilibre. Il y a un jeu de multiplication, une certaine géométrie qui apparaît alors, et c’est cela qui me pousse à représenter le vivant principalement dans mon travail de découpe papier et au feutre fin. Dans ces représentations graphiques, j’y cherche l’équilibre entre le vide et le plein, entre les lignes et les courbes. Ainsi, je tente de retrouver cette géométrie, et j’aime créer des motifs, des packagings à partir de celle-ci, comme ce que j’ai pu produire dans mon travail d’édition. Cela me rappelle le défilé Platos Altlantis, d’Alexander Mcqueen. Ce dernier, à partir de photographies de la grande barrière de corail et des fonds marins, avait, par un jeu de miroirs et de symétrie, produit une succession de macromotifs, et les avait ensuite imprimés sur des tissus luxueux, sublimant ainsi ses créations. Par ailleurs, en plus de son aspect géométrique et harmonieux, je trouve que le vivant est un réservoir inépuisable d’inspiration car il englobe toutes formes de vies et inculpe l’Homme dans cette notion, sans pour autant le placer au centre. C’est ce que Gilles Clément, paysagiste, essaie de prendre en compte dans son travail depuis les années soixante. Il fut le premier à parler du concept de « jardin en mouvement ». Ici le jardinier, l’Homme en terme général, ne cherche pas à maîtriser la végétation mais à s’inscrire dans celle-ci. L’objectif est alors de laisser libre la biodiversité qui se forme, ne pas la contraindre mais plutôt de composer avec cette dernière, de telle manière à ce que chaque espèce ait sa place, aussi minime soit-elle. N’oublions pas d’ailleurs que l’Homme est un être vivant comme les champignons, les animaux, les végétaux. De plus en plus effectivement, les idées darwinistes de l’évolution qui place notre espèce comme un animal supérieur, dans une chaîne alimentaire qu’il domine, sont réfutées par bon nombre de philosophes. Selon Gerard Amzallage, « nous tenons plus du végétal de l’animal », dans le sens ou bien que faible physiquement par rapport à certaines espèces (Rousseau affirme d’ailleurs : « L’homme est un roseau. Aussi faible qu’une plante »), nous possédons une spectaculaire adaptation à notre environnement.  J’aime suivre cette philosophie du « jardin en mouvement » dans mon travail photographique. Quand j’observe cette végétation, et que je la capture en image, je ne contrains pas ce qui se trouve autour de moi, je ne cherche pas à briser l’équilibre du paysage, à bouger telle pierre pour que le rendu soit plus esthétique. J’inclus d’ailleurs souvent l’homme, sous son enveloppe charnelle, dans ces environnements que je capture. J’évoque ainsi, ce qui est aussi vivant à l’intérieur de nous, ce qui nous fait nous inscrire parmi la grande famille du vivant. Le travail de Gilles Cléments fait écho au concept d’architecture organique. Cet art permet d’intégrer directement la structure à son environnement, pour ne pas briser cet équilibre. Elle implique des notions de continuité, de fluidité de l’espace et s’intéresse aux énergies renouvelables. Ainsi l’habitation devient elle-même un organisme vivant. C’est le cas notamment des maisons construites dans la ville de Dietikon en Suisse par Peter Vetsch. Ces habitations, dont les toits sont tapissés de verdure, dissimulant ainsi les petites maisons, s’intègrent parfaitement à leur environnement. Le complexe est constitué de neuf petites résidences dans lesquelles se trouve à chaque fois un patio est un court d’eau. L’exposition des différentes pièces respecte le principe naturel de l’éclairage et le salon donne ainsi sur un puit de lumière. Tout en courbe, le projet de Peter Vetsch mêle ainsi matériaux organiques et conventionnels.

 

Finalement, en partant de toutes ces cellules qui s’agglutinent sur les êtres et en particulier sur les êtres végétaux (qui m’intéresse d’avantage), il est possible au détriment d’un concept complexe, de primer la contemplation, l’appréciation du moment. Dans ce monde naturel tout est fait de courbe, d’amoncellement, de liberté. Beaucoup d’artistes qui m’inspirent se sont inspirés du vivant pour créer. Peter Petragaan, par exemple, par le biais de ses formes en découpe papier qui s’inspirent des fleurs, arrive à créer une certaine harmonie avec du papier de roseau. Iris Van Herpen, styliste suédoise est une artiste qui prône dans mes références. Repoussant toujours plus loin les frontières de la mode, elle utilise sans cesse de nouveaux matériaux et de nouveaux concepts. Elle crée des robes inspirées des motifs présents dans la nature avec une réelle ingéniosité et commence récemment à s’intéresser à des matières formées à l’aide de bactéries. Également, l’artiste Roberto Puglieese dans son œuvre concerto for still life a pu, enregistrer les sons imperceptibles du craquement de l’écorce, de la reproduction des plantes et l’a diffusé en haut-parleur dans une galerie.