Quand je n’écris pas automatiquement, je cherche à traduire dans mes textes cette présence de notre essence première, cette origine primitive qui sommeil en chacun de nous. Je m’intéresse beaucoup à cette notion inconsciente d’instinct, un état psychique qui influence notre comportement sans que nous nous en rendions forcément compte. Pour Shopenhaueur, l’inconscience est d’ailleurs « une force aveugle de vouloir vivre, dont nous ignorons l’origine »
Mon travail de corpus de l’année dernière, questionnait justement l’influence de cette inconscience. Ce qui m’attire surtout, c’est de quelle manière, nos instincts nous poussent à commettre des actes que nous réprouvons pour des raisons sociales ou morales. Il existe d’ailleurs des réactions universelles à toutes les espèces : peur, douleur, lutte de pouvoir. Dans tout mon travail j’ai voulu surtout me focaliser sur la manière dont nous avons, sous forme de conflits par exemple, d’adopter un rapport de domination, de violence constante face aux autres espèces et surtout sur les membres de la nôtre. Hobbes affirmait que « l’Homme est un loup pour l’Homme ». En effet, on peut observer souvent une certaine violence chez l’être humain qui peut emmener d’effets de foule ou même une tendance à rejeter un individu ne faisant pas parti de notre groupe social. Dans ces comportements violents se traduit une certaine absence d’empathie. Je me demande souvent si ces actes sont le résultat d’un code génétique. Pourquoi l’Homme a une certaine tendance à vouloir prendre possession de tout, à se définir comme une espèce à part entière, plutôt que de s’inscrire dans le reste des espèces vivantes ? Le comportement violent est-il commun à toutes les espèces ? Dans tout ce travail d’écriture du corpus 1, j’ai alors étudié plusieurs situations où, la violence, pourtant moralement inacceptable dans nos sociétés dites civilisées, s’était emparée soudainement d’individus et avait engendré de graves massacres. C’est le cas notamment de mes recherches sur l’expérience de la prison de Stanford, où des personnes en position de force en avaient malmené d’autres plus faibles, sous l’œil médusé des scientifiques. « Quelle que soit l'approche utilisée pour comprendre et expliquer l'intensité et les motifs de notre violence, il ne faut pas oublier que l'homme est un animal omnivore et que sa dimension biologique contribue à expliquer son comportement social", souligne Elise Huchard, primatologue. La violence serait-elle alors ancrée tellement profondément en nous que nous ne pourrions la combattre ? Elle fait certes tout d’abord partie du monde naturel et nous tirons nos origines de ce monde. Dans la nature, la férocité est destinée à assouvir des besoins vitaux. Manger, se reproduire ou se défendre. La violence est également utilisée pour établir des hiérarchies. Pour acquérir ou préserver du pouvoir. Dans l’abécédaire, Gilles Deleuze émet l’hypothèse qu’être animal c’est avant tout appartenir à un territoire et à l’intérieur de ce même territoire, les animaux émettent des signes (chant, odeur) pour dissuader les rivaux potentiels. L’homme se comporte-il de la même manière que les autres espèces ?
Progressivement, la société humaine réprime la brutalité physique. En agissant ainsi, elle oblige l'homme à apprendre à maîtriser son agressivité. Seulement, cette frustration est une chose difficile à supporter par l'individu. Il lui faut alors trouver un moyen de l'exprimer, de la transcender ou de la travestir. Peut-être alors que l’Homme se venge de cette frustration sur les autres espèces, en détruisant leurs habitats ou en leur imposant une souffrance pour prouver sa supériorité. Beaucoup d’artistes d’ailleurs « utilisent » l’animal dans leurs œuvres. En 2007 par exemple, l’artiste costaricain Guillermo Vargas expose un chien errant squelettique dans une galerie au Nicaragua. L’animal mourra de faim quelques heures plus tard sans que l’artiste ne décide d’intervenir.
Par conséquent, nous avons alors d’avantage désormais un rapport humain sur l’animal. Dans notre imaginaire collectif, la violence provient du monde animal, elle fait partie de la nature, s’en rapprocher serait se « déshumaniser ». En autre, l’artiste Olivier de Sagazan, dans ses performances, en se recouvrant de boue et en poussant des cris, en frappant le sol, affirme renouer avec ses origines animales. Dans Sanctus Nemorensis, en pleine forêt, il se transforme en hommes des bois, ours, en divinité sauvage et poursuit les voyageurs. Il y a donc drastiquement une opposition ici entre nature et culture, entre l’homme civilisé et l’animal sauvage, comme si l’Homme était une espèce à part entière, qui avait su écraser cette violence en lui. Joseph Beuys le souligne d’ailleurs dans son œuvre « I like america and America likes me » de 1974 où il resta enfermé trois jours avec un coyote sauvage dans une galerie. Ici l’Homme et l’animal partageaient l’espace et apprenaient à cohabiter.
Cette « animalité » présente en nous peut aussi se traduire dans l’instinct sexuel. Ces pulsions nous pousseraient à chercher un partenaire pour perpétuer notre lignée. Shopenhauer affirmait lui-même que tout sentiment amoureux est le résultat en réalité de nos pulsions sexuelles innées. Cependant, en même temps, nos sociétés ont totalement transformé ces actes sexuels, qui sont devenus au fil des années d’évolutions, un acte non pas forcément de reproduction mais aussi un acte d’amour et/ou de plaisir. D’ailleurs, cet instinct sexuel porte un nom, il se nomme « le désir » et son propos peut être nuancé. Désormais, au lieu d'être pour nous un comportement purement encré, ce désir peut devenir une source de souffrance, de honte, de questionnement sur notre rapport aux autres, sur nos préférences. Ce sentiment n’est d’ailleurs plus avant tout qu’un comportement du corps, il est une source d’émotions et de questionnements. Enfin, nos sociétés ont permis de donner d’autres définitions à ce mot. Pour Deleuze, Le désir ne provoque pas nécessairement de manque, sinon ce serait une source de souffrance continue. Le désir est guidé par la nature mais aussi par l’histoire et la société. Ce n’est pas qu’une pulsion sexuelle. Ex : « j’ai faim » guidé par un besoin mais aussi par un besoin de société.
Pour conclure, j’ai aimé étudier les réactions et la psychologie humaine pour comprendre certains comportements de notre espèce et en retranscrire mes réflexions dans mon travail d’écriture du corpus 1. J’ai tenté de visualiser de quelle façon certains de nos actes qui semble innés (territoriaux, sociaux…) sont communs à beaucoup d’autres espèces mais aussi comment l’Homme, de par son appartenance à une société, se détache de ces comportements et essaie d’écraser de plus en plus cet instinct au détriment de règles morales et sociales. La grande question serait alors : Y parvient-il totalement ?