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 Pour réaliser ma Bande dessinée « Felio », je me suis beaucoup inspiré de l’oeuvre Blast, de Manu Larcenet. Beaucoup est bien faible comme mot. Réellement fasciné par la forme et le fond de l’œuvre, j’ai passé, à l’image du cliché des génies modernes de la peinture étudiant l’œuvre des génies de la renaissance, des dizaines d’heure à analyser le travail de Larcenet. Devant un tel édifice, l’innocente influence artistique s'est lentement transformée en envie d’atteindre le même niveau, de s’accaparer le génie. Tout ce temps et ce travail obsessionnel m’ont laissé réfléchir sur les thèmes de l’influence, du plagiat et de ce que je pourrai appeler le « vampirisme ». Le plagiat est le vol immatériel par un auteur d’une partie plus ou moins importante d’une œuvre ou d’un travail, sans faire référence à l’auteur ou à l’ouvrage plagié. La notion de plagiat bien qu’étant extrêmement négative aujourd’hui ne l’a pas toujours été. Au commencement de notre ère, le plagiat est un jeu d’école qui légitime ce type d’emprunt souvent avoué ou connu. En faisant un grand bond dans l’histoire, on peut citer Richesource qui créa l’école de plagianisme destiné aux auteurs peu imaginatifs, apprenant à reprendre les textes existants en dissimulant leur source. Bien que l’image et la législation gravitant autour du plagiat évoluent au cours du temps, le plagiaire est globalement vu comme un être dépourvu de talent et d’éthique. Cela reste fondamentalement du vol, criminel. L’origine du mot est lourde de sens, provenant du mot latin « plǎgǐārĭus » qui pourrait se traduire par un marchand vendeur ou acheteur de personne libre comme esclave. Il s’agit donc littéralement de « voler un Homme ». Face au frauduleux plagiat, on oppose l’innocente « influence » d’un auteur sur un autre, d’une œuvre sur un courant, etc. Cette influence est une source d’inspiration, un stimulus, un tremplin vers autre chose. J’aimerais quitter la traditionnelle dichotomie faite entre influence (ou inspiration) et plagiat. Il me semble que rentrer dans ce schéma est susceptible de rendre dangereusement stérile la création. Il place l’artiste fasciné par une œuvre dans un climat d’incertitude, de peur lié à l’idée de dépasser la frontière entre innocente influence et plagiat honteux. C’est une épée de Damoclès castratrice. Et tout ça sous couvert d’une certaine morale, d’une soit-disante éthique, matraqué par des entrepreneurs de conscience. C’est pour nuancer ces deux extrêmes et tenté de sortir des clivages du bien et du mal que je propose le mot vampirisme. Une pratique quelque part entre inspiration et plagiat qui s’appuie sur la symbolique du vampire. Tout d’abord, il s’agit d’absorber l’énergie d’une œuvre, d’en drainer le contenu. Sénèque déjà au début de notre ère appelait les auteurs à « digérer » leurs prédécesseurs. Si nous sommes les enfants de notre époque, il me semble fondamental d’analyser nos pères pour grandir et reprendre le flambeau. « Drainer » une œuvre, c’est l’étudier de part en part, l’analyser, voir la copier de façon obsessionnelle pour en puiser sa force. Je n’invente rien et c’est déjà ce que fait une majorité d’artiste, mais cela reste absurdement tabou. Manu Larcenet expliquait lui même qu’il avait reçu à ses débuts des insultes et des menaces de lectures excédé par son vol de l’œuvre de Blutch. Les procès en paternité sont toujours réfutables. Le vampirisme est légitime et essentiel. La copie n’empêche évidemment pas le rôle de l’auteur, le prisme sous lequel il draine, l’intention qu’il donne à l’œuvre, tout ça reste très personnel. Le vampirisme, c’est également une question d’immortalité. L’immortalité de la création, des idée. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » disait Lavoisier. Il est plus évident de quitter le clivage moral imposé par l’inspiration et le plagiat lorsque l’on accepte que personne n’invente rien. Il n’y a pas d’idée originale, ou bien elle est fausse. Tout n’est qu’un ressassement, une modification, un renforcement de ce qui a déjà été dit ou penser originellement. On s’inscrit simplement dans une histoire ancienne et l’on essaye d’intervertir, de connecter, de dissocier certains éléments pré-existants pour « créer ». Créer, c’est savoir s’approprier des choses existantes préalablement et savoir leur donner une nouvelle intelligibilité. Arrêter ce mouvement de drainage permanent, c’est arrêter le mouvement de la création. Il n’y a pas de socle vide, toute œuvre vient d’une copie plus ou moins directe de ce qui est déjà là. En ce sens, la notion de « plagiat » apparaît presque comme absurde. En effet, il est difficile de parler de propriété intellectuel, artistique. Une oeuvre ne revient pas uniquement à son créateur. Elle est l’aboutissement d’une intelligence commune. Toute découverte est collective dans le sens où elle s’inscrit dans une immense histoire. Métaphoriquement, on pourrait donner l’image de la pierre à l’édifice, de la fourmi au sein de la fourmilière. Encore une fois, le créateur a évidemment son importance dans la façon dont il utilise les matériaux pré-existants et la façon dont il les modèle pour parvenir à l’œuvre. Et il est évident que l’œuvre reste l’enfant du créateur, mais l’enfant est libre, indépendant. Et j’ajouterai que le plus grand hommage dans le domaine de la création, c’est lorsque son œuvre est réapproprié puis dépassé par les autres.  Vampirisme