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 Il y a peu de choses davantage castrateur dans l’art que la crispation. Je me bats avec moi-même pour dépasser cet état d’inquiétude, d’hésitation et d’impuissance. L’illustrateur Gilles Bachelet me confiait qu’il dessinait depuis 30 ans avec « le cul serré », pesant chaque geste avec réflexion. Bien que cela ne se ressent pas à mon sens dans ses illustrations pleines de vie, je refuse de m’infliger ça. L’une des définitions du mot crispation est intéressante pour décrire l’effet néfaste qu’elle peut avoir sur une œuvre : « Resserrement qui diminue la surface d'un objet en le ridant ». Un resserrement ridé. Je crois que lâcher prise peut se faire globalement dans toutes les étapes de productions d’une « œuvre ». Dans mon travail, c’est probablement dans le choix des thématiques abordés que j’y parviens le mieux. J’essaye de m’accorder la plus grande liberté possible. Les angles d’approches sont également hétéroclites. J’oscille entre fiction, documentaire, humour ou gravité selon le projet. Une fois le sujet et l’angle d’approche défini, j’ai besoin comme beaucoup de bases solides pour commencer. Un scénario, une trame, un chemin de fer, etc. Néanmoins, j’ai beaucoup de mal à poser une esquisse réellement représentative de ce que pourrait être l’objet final. J’ai peur qu’en posant trop d’indication dans cette première phase, je me retrouve restreint durant celle de la fabrication. Mes story-boards par exemple sont assez flous, bordéliques même. Cela me permet d’avoir une image précise de comment aller du point A au point D tout en me laissant la place d’y intercaler un point B ou C au gré de mon humeur du moment. Ces compléments aléatoires ont l’avantage de pouvoir être rajouté à n’importe quel moment de la fabrication et donc de rectifier un problème dans l’œuvre remarqué même tard. L’inconvénient, ou plutôt le challenge, c’est qu’il faut réussir à les glisser habilement dans le travail, une scène en plus dans une bande-dessinée par exemple, sans que cela ne fasse « tache ». Enfin, le choix du matériau m’est essentiel dans cette quête du « lâcher priser ». Raison pour laquelle j’ai opté dans le dessin pour les techniques à base d’eau telle que l’encre de chine et plus récemment l’aquarelle. Ces outils me forcent parfois à accepter de lâcher prise. Je ne contrôle pas tout à fait l’expansion, la densité, les limites d’un lavis. Et c’est bien mieux comme ça. Cela créer, autour de ligne plus claires et fermes généralement tracer au feutre quelques choses que j’espère libre et dynamique. Concernant les contours et les trames des formes dessinées, je souhaite remplacer petit à petit le stylo que je juge trop docile et prévisible par des mines grasses et du pinceau. J’espère arriver un jour à une imprévisibilité contrôlée. Lâcher prise