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 Durant mon année de classe préparatoire j’ai obtenu mon premier appareil photographique. N’ayant aucune connaissance dans ce domaine, je décidais de m’exerçais dans la rue. J’ai photographié pendant un an des passants, des commerçants, toute sorte de personne pour aiguiser mon regard. Ce que je voyais initialement comme un exercice ne m’a jamais quitté depuis. La photographie m’a permise à mainte reprise d’aller à la rencontre des gens, d’essayer de les comprendre, de capter leur essence sous le prisme de l’image. Il y a deux ans, j’ai réalisé une série de portrait d’SDF Lyonnais. Ce sont des gens pour qui j’ai énormément de respect et de fascination. Je voulais leur parler, passer un moment avec eux. La photographie a permis de nombreuses choses dans cet échange. Si beaucoup d’SDF ont pris peur ou se sont braqués face à l’objectif, ce qui est absolument compréhensible, certains autres ont été flattés, touchés même de voir l’attention pour une fois portée sur eux. Ce regard porté sur leur personne leur a permis de s’ouvrir et j’ai pu créer de réels liens. Paradoxalement, j’ai besoin d’aller à la découverte de l’autre, mais je suis plutôt introverti. La photographie me permet de mettre une barrière, une protection entre l’autre et moi lorsque le rapport est trop intime, frontal pour être supportable. Dans cette série par exemple, je me sentais mal à l’aise d’aller à la rencontre de SDF avec ma naïveté et ma bonne intention. On parle de réel misère et je suis toujours gêné quant à l’idée de faire du « tourisme social » ou ce genre de chose. La photographie permet durant le temps de la prise de vue d’estomper ces doutes, ces questionnements. Il y a trop à penser sur le moment entre la discussion, le cadrage, la lumière, l’ambiance pour laisser place au doute. Je crois que connaître ce soulagement durant la création, la prise de vue, c’est une bonne chose. Rien n’empêche de réfléchir à la forme et au sens de ses images après coup. Je suis fasciné par beaucoup d’artistes qui sont partis à la rencontre de l’inconnu, objectif en main et qui ont su en retranscrire leur perception, leur fragment de réalité. Je pense par exemple à Bruce Davidson qui a passé des semaines dans un cirque afin de réaliser sa série : « circus ». Je crois que ce qui fait la force de ses images, c’est qu’il a su s’immerger pleinement dans cet univers. L’artiste ne s’est pas contenté de photographier de l’extérieur ce monde, il en a fait partie intégrante durant un temps. Il a su se fondre dans ce moule pour mieux s’imprégner de son atmosphère. C’est du réel documentaire sensible pour moi. C’est authentique et puissant. J’aimerais travailler avec la même démarche que cet homme. J’ai beaucoup travaillé dans des milieux précaires et/ou difficiles, de la restauration bas de gamme à la manutention en passant par le travail à la chaîne. J’aimerais durant les grandes vacances ou après les études retourner dans ce milieu prolétaire pour y nouer de véritable liens avec ces gens et comprendre le fonctionnement de tel ou tel secteur afin de retranscrire tout cela photographiquement. Une démarche qui ressemble à celle de George Orwell qui publia en 1933 le roman autobiographique « Dans la dèche à Paris et à Londres ». Il y dépeint son expérience difficile dans le milieu de l’hôtellerie dans les années 20 avec beaucoup d’authenticité. Je crois que ce qui m’attire aussi, c’est de braquer la lumière sur des « petites gens » (même si je déteste ce terme). Montrer ce qui n’est pas « digne » d’être montre. Ce que l’on ne veut pas voir habituellement. Les SDF, les prostitués, les dealers, les ouvriers tout en bas de l’échelle, les migrants, les toxicomanes, les prisonniers, les roms, les malades. La liste est encore longue. Ce que je veux, c’est aller à la rencontre de ces gens même si c’est très dur et que parfois, tout nous oppose en surface. C’est créer du lien entre eux et moi, et surtout entre eux et le reste de la société. Qui sont-ils réellement ? Qu’ont-ils à dire ? Où se situent-ils entre nos préjugés et la réalité ? Confrontation