À la fin du collège, c'était tout vu : je ne savais pas dessiner et l'art ne m'intéressait pas. J'obtiendrai un baccalauréat économique et social avant de poursuivre mes études en faculté. Maman m'avait inscrite dans l'option arts-plastiques du lycée de peur que je regrette de ne pas y être allée. Je lui en ai voulu, cet univers là n'était pas pour moi. J'assistai donc à la première séance simplement pour lui démontrer qu'elle avait tort et que tout cela ne m'intéressait pas. Mon parcours artistique s'arrêterait là.

 

Les lignes que vous êtes en train de lire constituent l'introduction au deuxième travail de corpus proposé par les enseignants de l’École Supérieure d'Art d’Épinal. Au moment de les écrire, je termine ma deuxième année de Diplôme National d'Art.

 

Dans mon parcours professionnel tout tracé, je n'avais pas prévu de rencontrer celui qui allait conforter mon goût pour l'image et le dessin, qui allait m'offrir des rêves et l'envie d'y croire et qui ferait de l'illustration ma motivation première. Je me suis écartée de la route sur laquelle je m'étais engagée pour suivre avec curiosité ce grand monsieur sur ce chemin nouveau.

 

La petite graine qu'il a plantée en moi a bien poussé depuis à renfort d'apprentissages théoriques, plastiques et pratiques.

Pourtant, il m'arrive encore d'avoir l'impression de faire les choses simplement « parce que j'aime ça ». En prenant le temps de marquer une pause et d'observer les projets que j'ai menés à bien jusque là, je constate que mes automatismes sont influencés par les œuvres et artistes qui m'ont interpellée, par les thèmes qui me tiennent à cœur et par les techniques que j'affectionne particulièrement.

 

L'expédition dans l'univers de la création plastique, c'est un peu comme une pérégrination dans un vaste jardin. On y fait des rencontres et des découvertes, on s'émerveille de son foisonnement. C'est une terre fertile qui évolue sans cesse, se pare de couleurs et de formes toujours inédites. Dans cette nature façonnée par la créativité de chacun, les chemins à suivre sont nombreux et il s'en cache toujours un autre au détour d'un bosquet.

 

Même si mon parcours dans le monde de l'art n'est encore qu'à son début et que mon univers créatif demeure un territoire réduit, je prends soin de cultiver mon propre jardin. À travers ce travail de corpus, je vous invite à venir flâner dans ma petite parcelle aux contours incertains.

Plus jeune, j'avais souvent le nez plongé dans les pages de Garfield, le célèbre matou accro aux lasagnes imaginé par l'auteur américain Jim Davis en 1978. Dans ces albums, ce n'est pas un récit qui se poursuit au fil des pages mais une suite de strips de trois vignettes articulées autour d'un gag ou parfois d'une réflexion un poil plus philosophique. Bien que le héros, ou plutôt l'anti-héros, soit un chat ventru et imbu de lui même, doté de parole, ce qui n'est bien sûr pas très plausible, l'action s'inscrit dans le quotidien et l'humilité des événements. Pas de vastes champs de bataille, ni de fougueuses passions, pas d'impérieuses conquêtes ni d'éloquents discours. Les protagonistes sont un américain moyen, Jon Arbuckle, dessinateur de bande dessinée célibataire, son chien et son chat. L'action se joue dans le cadre de leur maison, ou au plus loin, dans le snack au coin de la rue. Des personnages « comme tout le monde » qui vivent « comme tout le monde » et qui pourtant se vendent dans le monde entier en une grande quantité d'exemplaires. Tout tient au fait que tout un chacun peu s'identifier à ces personnages standards, rire des petits aléas qui pimentent leurs journées et compatir à leur petits chagrins. Ce qui pourrait sembler n'être qu'une banale anecdote devient le cœur d'une action de trois cases. Avec soixante treize albums, voilà qui en fait des cases ! Le quotidien le plus standard fait couler autant d'encre qu'une épopée.

 

Jim Davis cependant capte avant tout le burlesque du quotidien mais ne s'attarde pas à la contemplation au contraire de l’impressionnisme, mouvement de peinture parmi ceux qui me touchent le plus. Il y a dans ces images souvent peintes sur le vif, une sincérité incomparable. Elle sont des fragments de vie, de moments de grâce du quotidien. Elles sont le rire d'un ami, les rayons du soleil sur une fleur au matin, des bribes de tous les jours vibrantes de couleurs.

Prenons l'exemple de La Promenade de Monet, huile sur toile qu'il peignit en l'été 1875 dans les jardins de sa maison à Argenteuil. Ce tableau me touche particulièrement dans la mesure où, pour une fois, dans une œuvre dominée par une fascination des effets éphémères de la lumière, l'humain occupe une place prépondérante. Or, il s'agit de sa femme, Camille. En arrière plan, un petit garçon, leur fils Jean. Ce tableau n'est pas un portrait officiel, il est le souvenir de reflets colorés, de fleurs sauvages et de figures aimées à l'occasion d'une balade en famille. Les coups de pinceaux vifs, la position des personnages qui regardent le spectateur, les variations de teintes, dépeignent la brièveté d'un moment.

 

De nombreuses toiles impressionnistes pourraient être des exemples pour comprendre le sens du mono no aware. Il s'agit d'un concept esthétique et spirituel omniprésent dans l'idéal nippon. Au contraire de la culture occidentale qui privilégie la pérennité de sa trace dans le temps, au japon, les vraies richesses sont périssables. À titre d'exemple, l'architecture japonaise travaille beaucoup le papier, matériau fragile et éphémère quand l'Occident a longtemps jugé noble et précieux le marbre ou l'or, ce métal qui ne s'oxyde jamais. Ce détachement à la matérialité engendre une observation plus attentive du monde qui nous entoure et ainsi un émerveillement dans la quotidienneté. Littéralement, l'expression pourrait se traduire par l'aspect « ah ! » des choses. Tout devient une surprise, une opportunité esthétique. Découle de cette pensée le wabi sabi qui va plus loin encore en ressentant la beauté dans les choses imparfaites, éphémères et modestes.

 

« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous rappelons le passé ; nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours. » écrit Blaise Pascal dans ses Pensées  en 1669, soulignant que nous Européens sommes peu disposés au mono no aware ! Souvent, alors que je marche dans la rue, je me surprends à penser à ce que je vais faire et il me semble que je viens de gâcher un temps précieux. J'ai traversé un moment sans penser à le vivre. Les images mentales les plus fortes s'attardent souvent sur des détails qui n'ont l'air de rien et qui se révèlent pourtant empli de charme.

 

Parce qu'elle est chargée de tant de poésie, la vie quotidienne est un sujet qui me plaît. Mes images sont comme des scènes de genre qui s'émerveillent des petits trésors de la vie pour apporter un peu de sourires et de tendresse.